Fraîchement débarqués sur l’Île de La Palma aux Canaries, nous avions eu échos d’un phénomène de cascade de nuages se produisant presque chaque jour au centre de l’île… Vous savez, le genre de photos que l’on voit sur les guides touristiques ou dans nos rêves d’évasion !
Après quelques jours sur place, nous observons chaque matin cette fameuse et étrange cascade de nuages qui se forme près de El Paso. Particulièrement dense au début de journée, il ne restait plus qu’à trouver le spot idéal et à définir la bonne heure pour aller la photographier.
Je repère un sommet à proximité de l’endroit qui semble plutôt facile d’accès et parfaitement s’apprêter à notre objectif puisqu’il domine toute la vallée ! Après avoir jeté un coup d’œil à la carte, j’observe que la mer de nuage recouvre tout l’est de l’île (côté Santa Cruz) jusqu’à terminer en cascade en se heurtant contre la dorsale centrale qui divise l’île… Je pense qu’on tient notre spot idéal !
Il y a cependant un soucis. À l’époque de notre trip photo, je n’ai trouvé aucun tracé GPX ou de fiche de randonnée répertoriant clairement l’accès au Birigoyo depuis El Pilar ! En effet, tout ce qui était disponible mentionnait la « route des volcans », bien trop longue puisqu’elle descend jusque dans le sud de l’île… Ainsi, je me suis retrouvé à improviser un tracé en composant un chemin avec un bout du (fameux) GR 131, puis en complétant avec un morceau de la « Pista Barquita », pour enfin bifurquer sur des chemins non référencés mais bien visibles sur OpenStreetMap ! Ça devrait le faire…
Après un check complet de la météo, on comprend rapidement que le meilleur moment qui s’offre à nous n’est autre que le lendemain matin !… Assez fous pour ne dormir que 3 ou 4 heures seulement, on se motive pour aller faire un tour sur la route qui mène à El Pilar afin de nous imprégner des lieux et de profiter du coucher de soleil… Les nuages se lèvent et le froid descend, c’est bon signe pour nous demain !
Alors c’est décidé ! Nous partirons de nuit pour gravir le Pico Birigoyo à la lampe frontale et attendre que les premières lueurs du jour subliment les nuages se jetant dans le vide. Rentrons vite manger, on se lève dans moins de 5 heures…
Le réveil sonne (déjà), nous y sommes. Il est 3h du matin, la nuit aura été courte ! Pas le temps de se rendormir, nous avons les conditions parfaites et le soleil ne nous attendra pas. Tout juste le temps d’avaler un bol de céréales et d’ajouter quelques biscuits à nos sacs photo déjà bien replis, on saute dans les voitures. La conduite est rude, mes collègues se rendorment aussitôt et le sommeil pèse sur mes paupières. Je comprends que l’heure de route pour rejoindre le Refugio El Pilar s’annonce difficile pour moi !
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Sans doute parce que j’étais mal réveillé et qu’il faisait nuit noire, je laisse mon appareil dans mon sac et ne fais aucune photo de la montée… Croyez-moi que je le regrette aujourd’hui en écrivant cet article !
Imaginez-vous alors 4 mecs mal réveillés, avec leur lampe sur la tête, montant d’un pas soutenu et silencieux à travers les pins sur une piste qu’on espère la bonne…
La montée est plutôt douce et se fait à travers un épais brouillard ; l’ambiance de nuit est presque lugubre ! Le dénivelé se révèle pour le moment assez léger avec nos corps endormis. On est bien sur le GR 131 qui longe en arc de cercle l’ouest des deux cratères par leur base. Un beau sentier bien entretenu avec un petit muret de pierres qui laisse entrevoir une jolie vue sur les lumières de Los Llanos de Aridane.
Ça y est, nous voici à la bifurcation où Le GR part sur la droite en direction de la « Rutas de los Volcanolès ». C’est ici que nous partons à gauche pour suivre notre propre itinéraire. La piste s’élargie énormément et s’apparente presque à une route forestière, il s’agit en effet de la « Pista Barquita ». Moins d’un kilomètre plus loin, elle s’arrête soudainement devant nous. Après avoir ouvert une carte et vérifié que l’on était bien sur la bonne trace, je comprends que c’est ici qu’on va vraiment en baver.
La piste se transforme en un sentier à peine plus large qu’une chaussure, il nous est difficile de progresser à bon rythme. La pente est particulièrement raide et pour cause, on commence à gravir le volcan en lacets sur sa pente sud !! Le cœur frappe fort, les jambes hurlent… L’échauffement n’aura pas été long ! J’ai besoin de reprendre mon souffle, mais pas de temps à perdre, le soleil ne nous attendra pas et les premières lueurs bleues apparaissent déjà à l’horizon… L’effort est ultra intense, j’aurai préféré une montée plus progressive.
Au fur et à mesure de notre montée, nous laissons derrière nous l’épais brouillard qui se présente désormais sous la forme d’une vaste mer de nuages sous nos pieds.
À peine notre souffle repris, il faut continuer et longer le cratère de la Montaña Barquita (1809 m) afin d’accéder ensuite au sommet du Birigoyo. Les quelques premières lueurs nous permettent de contempler l’immense mer de nuages qui s’étend à perte de vue sur l’horizon… Alors qu’un vent glacial vient nous tenir compagnie, le chemin commence à s’aplanir devant nous.
On y est ! Nous voilà au sommet du Birigoyo. Il fait encore bien nuit mais on a déjà cette sensation d’être au pied d’une immensité qui nous donne presque le vertige. L’île est encore endormie sous nos pieds, « peut-être avons-nous marché trop vite ! » s’exclame Émeric en rigolant. En grignotant un biscuit, nous préparons doucement notre matériel et essayons de repérer l’endroit où la soleil sortira de l’horizon.
« Ça y est ! C’est presque l’heure ! », s’écrit AurèL qui est aussi du voyage. En effet, l’horizon se pare de jaune, le ciel commence à s’illuminer, mais le soleil n’est pas encore présent. Vite, préparons-nous ! La vue est incroyable, le ciel bien dégagé, on s’attend à un spectacle inouï. Au loin, on commence même à apercevoir le fameux volcan El Tiede et l’île de Tenerife sortant des nuages. J’avais misé juste, on se sent privilégiés, commes seuls au monde, aux toutes premières loges pour admirer le spectacle.
Le volcan El Teide, sur l’île de Tenerife (3 718 m)
Enfin… ça y est. L’heure de gloire est arrivée ! « Là ! À droite les gars ! Le soleil sort ! » Il est 7h02, le soleil vient de sortir sa tête des nuages et nous ébloui par sa lumière jaune-orangée. Le spectacle donne des frissons, jamais nous n’avons vu ça auparavant ! On ne sait plus où donner de la tête, on se contente de photographier à tout va.
Sur les photos, tout semble figé. Détrompez-vous ! Les nuages descendent cette cascade à une vitesse affolante. Je me suis même prêté au jeu de faire un time-lapse où quelques minutes ont suffit tellement que la vitesse de descente des nuages est élevée !
Ce phénomène est dû à le rencontre des courants froids (venant de l’est) et chauds (à ouest) qui sont à des altitudes différentes et ne se rencontrent pas, sauf au niveau de cette barrière naturelle qui sépare l’île en deux. C’est stupéfiant, j’aurai adoré qu’un météorologue soit avec nous ce jour-là pour tout nous expliquer en détail…
Les ambiances et couleurs changent tellement rapidement que l’on peut faire un nouvelle photo partout où on pose notre regard. Les nuages créé des jeux d’ombres et de lumières avec un mélange surprenant de couleurs chaudes et froides difficiles à prouver tellement que l’on croirait à une retouche un peu trop poussée !…
L’heure dorée vient à son terme, tout va trop vite ! Le soleil a déjà pris beaucoup d’altitude et les couleurs ont bien changé. J’essaie alors de composer différemment mes photos en montant mon zoom 70-200 f/2.8. On aimerait photographier à l’infini ce paysage céleste si surprenant.
Il est presque 9h, il est désormais temps de redescendre. Devant nous, la suite du chemin, particulièrement abrupt, descend en zigzag en direction de l’immensité nuageuse. Je n’avais jamais marché sur les crêtes d’un volcan, j’ai adoré cette sensation ! La pente est tellement raide que nos sacs nous emportent vers l’avant, on doit redoubler de vigilance afin d’éviter la chute.
Nous approchons du niveau de mer de nuages et commençons à ressentir les courants d’air glacials qui remontent et nous glacent les membres… La chaleur sèche du soleil au sommet du pic se transforme peu à peu en surcharge d’humidité. Derniers mètres avant d’entrer dans l’épais et humide brouillard qui nous tiendra compagnie jusqu’à ce qu’on ait rejoint la voiture.
Nous laissons derrière nous les pentes du volcans pour nous engouffrer dans la pinède que nous avions laissée dernière nous à notre départ ce matin. L’atmosphère contraste avec ce qu’on avait là-haut ! Le brouillard est tellement dense que l’humidité descendant des arbres forme une espèce de bruine fine qui trempe nos vêtements et créé de la buer sur nos appareils photo… Heureusement, ayant toujours un sachet de microfibres sur moi, je m’active à essuyer ma lentille avant chaque photo.
La forêt est très impressionnante. Dans un silence toujours aussi saisissant, on s’attend presque à voir traverser un dinosaure au milieu des arbres ! Steven Spielberg si jamais tu me lis… 🤘
La fin de la rando approche. Toujours plongés dans le brouillard et trempés jusqu’aux os, on aperçoit la maison en pierre du Refugio El Pilar. Plus que quelques mètres et nous serons à la voiture !
En voyant ce panneau d’indication de chemins, je me rends compte qu’on a bien joué ! Aucun chemin n’est mentionné pour grimper au Birigoyo… Je suis surpris et ravi d’avoir pu créer mon propre itinéraire, adapté à la condition physique de chacun (surtout à la mienne en fait !), tout en ayant rempli l’objectif d’assister au lever de soleil au-dessus de l’impressionnante mer de nuage.
Après avoir rejoint la voiture, nous retrouvons la magnifique route qui descend jusqu’à El Paso et improvisons un court arrêt au Mirador Astronómico del Llano del Jable afin de faire décoller le drone et voir si on peut en tirer quelques jolis clichés de cette terre de lave noire… Je ne vous cache que l’arrêt fut satisfaisant !
Crédit photos : Aurélien Papa
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