Après une semaine à compter au gramme près ce que nous mettions dans nos sacs, nous voilà fin prêts à aller nous détruire les genoux sur le fameux GR20 en Corse, dans une aventure éprouvante en autonomie totale.

Avant-propos

Enora et moi-même adorons la randonnée. Etant plus compétitif l’un que l’autre, il nous arrive souvent de mutuellement nous monter la tête pour s’embarquer dans des aventures qui outrepassent largement notre niveau. C’est un peu l’histoire de notre GR20…

Pour les non-initiés, le GR20 est un tracé mythique en Corse qui s’étend sur près de 180km de rochers et sentiers. Il faut encaisser quasiment 14 000m de dénivelé positif pour en arriver à bout. Pour se faire une image, c’est comme gravir le Mont-Blanc qu’on aurait empilé sur l’Everest. Ça grimpe quoi. Voilà pourquoi le GR a la réputation d’être la randonnée la plus dure d’Europe.

Le tracé est découpé en 16 étapes de plus ou moins 6h de marche. Il se fait théoriquement en 16j avec une nuit dans un refuge à chaque étape, de quoi vous soulager de nombreuses dizaines d’euros… Financièrement et idéologiquement, Enora et moi voulions tenter l’aventure en autonomie complète, c’est à dire en portant 16 jours de nourriture et toutes nos affaires de couchage/toilette/sécurité sur notre dos; ne procéder à aucun ravitaillement sur le voyage. Cela dans le but d’être au plus proche de la nature : je me débrouille avec ce que j’ai et ce que m’offre la nature sans profiter d’infrastructures et logistique humaines. Spoiler, il y a eu triche : nous avons pris quelques douches en refuge.

Pour des raisons évidentes de poids, je n’ai pas pris mon reflex. Nous nous contenterons des photos de mon téléphone et de sa colorimétrie approximative.

Jour 0 : Voyage Paris-Calenzana

7h. C’est le grand jour, Enora me rejoint à Gare de Lyon, on saute dans un TGV qui nous décroche la mâchoire tellement il est tôt. Il file vers Lyon, là où nous ont menés nos petits museaux de crevards pour trouver l’avion le moins cher de France pour Calvi, l’aéroport le plus proche du départ du GR20.

Une fois à l’aéroport, on attend parce qu’évidemment on a beaucoup trop d’avance. Un monsieur prend le dernier cookie chocolat noir chez Paul, sous nos yeux. Très mauvais présage. Juste avant d’embarquer, on sympathise rapidement avec un individu, visiblement randonneur, qui nous questionne sur l’itinéraire que nous comptons emprunter une fois arrivés sur l’Ile de Beauté. Bien entendu, lui aussi part faire le GR20. Nous ne sommes pas des gens originaux.

En descendant de l’avion à Calvi, après avoir avalé un jus de tomate décevant mais néanmoins agréable, nous récupérons nos bagages en soute et découvrons avec joie un trou béant dans la housse de tente, causé par un bâton de marche. L’air est très chaud et fort moite, on se croirait sous les tropiques.

Après s’être remis de nos émotions, le monsieur (sympathique) de l’aéroport, revient nous voir. Il se présente : c’est Didier. Dans un élan de générosité, celui-ci nous propose de nous offrir le taxi. Nous acceptons avec joie : ça nous évite 2h30 de marche jusqu’à Calenzana.

Arrivés sur place, nous faisons quelques emplettes pour compléter nos rations lyophilisées : fruits secs, semoule, saucisson et fromage corse se chargeront de nous sustenter chaque soir de la randonnée. Erreur : nous oublions les barres chocolatées. On se rendra compte rapidement que le sucre est indispensable pour nous booster toutes les 2h…

Nous nous mettons en recherche d’un lieu pour accueillir notre tente. Nous faisons la formidable rencontre de madame camping municipal qui se propose de nous soulager de 9€ par personne en échange d’un emplacement caillouteux pour notre tente. Une fois celle-ci dressée, nous toisons nos co-campeurs et futurs concurrents du GR20, le constat est sans appel : ils sont très nombreux. Un peu dépités par l’autoroute qu’a l’air d’être cette randonnée que nous pensions vivre en autarcie, nous nous mettons en quête de nourriture. 16€, c’est le prix d’une salade Cesar au « GR20 », le restaurant. Du coup, nous retournons au magasin prendre une pauvre salade sous vide que nous dégustons sur un muret au bord d’une route. Le ciel se couvre, l’ambiance est clairement morose, on imaginait mieux pour la veille d’une si grosse randonnée.

2h32. Il fait nuit. Nous dormons. Jusqu’à ce qu’un monstrueux orage éclate, il y a tant d’éclairs que l’on se croirait entourés de paparazzi. Surprise du chef : il pleut dans la tente. Ça ne me plaît pas du tout, pour des raisons que vous saurez trouver par vous-même, je recherche sur internet un magasin de tente à proximité quitte à retarder le départ, finalement le sommeil m’emporte et cette idée tombera dans les oubliettes.

JOUR 1 : Étapes 1 + 2 - Calenzana > Refuge de Carrozzu

18 km | 2 175 m D+ | 11h30 de marche

Réveil 5h20, ça pique ! On sort difficilement de notre drap de soie, on range nos sacs lentement et maladroitement, pas encore très bien organisés ni habitués au mode de vie de saltimbanques en tente. Direction la cuisine du camping pour faire chauffer l’eau nécessaire à nos lyophilisés-petit-déjeuners. La foule est présente. C’est l’effervescence dans le réfectoire. Pour tous, c’est le début d’une « grande aventure humaine ». L’émotion est palpable. Le petit-déjeuner englouti, nous partons sous la pluie avec nos plus grands ennemis sur le dos : 14 kg chacun de tronçonneuse à épaules.

GR20 Corse grande randonnée autonomie aventure Arthur Barrow Wild Spot

Et puis soudain, une grosse averse. Nous nous réfugions sous un petit abri le temps que la pluie cesse, déjà apeurés par ce que pourra nous réserver ce GR20 s’il commence dans de si mauvaises conditions.

Nous en profitons pour revêtir nos guêtres de fortune : une fine bande d’anti-dérapant spécial tapis enroulé autour de nos mollets et surmonté d’un sac de congélation ouvert en son fond, le tout maintenu par un élastique. L’eau ne s’infiltrera pas dans les chaussettes, une grande victoire psychologique.

Passé le départ qui ressemble à un marathon tellement les randonneurs sont nombreux, chacun trouve son rythme et nous nous retrouvons plus ou moins seuls dans la montagne après 2 heures de montée à braver le torrent qu’est devenu le sentier sous l’eau. La pluie s’arrête, ENFIN ! On retrouve Didier, notre sympathique payeur de taxi, qui a passé une bonne nuit au sec à l’hôtel, on échange quelques phrases et l’envions d’avoir passé une vraie nuit. On mange goulûment nos premiers fruits secs, sans pour autant comprendre qu’il faut vraiment se rationner pour tenir 15 jours avec 450 grammes de raisins secs chacun. Le sucre fait effet instantanément, c’est fort plaisant : nous repartons de plus belle, dopés au sucre.

Une réflexion me traverse l’esprit : notre seule source de sucre est ce petit balluchon de fruits secs… Cela va rapidement devenir un problème au vu de la difficulté qui nous attend.

Après avoir clairement subi les 1500 m de dénivelé positif de la première étape, nous arrivons au refuge à 14 h. Petite pause à la source pour remplir les poches à eau, l’ambiance est à la causette de comptoir : certains nous expliquent qu’il est facile de « doubler » l’étape, c’est à dire continuer la journée en faisant l’étape 2 le jour-même. Pire encore, deux randonneurs néophytes tout pimpants nous soufflent à l’oreille qu’ils comptent dévorer le GR20 en 7 jours (pour rappel, il est donné pour 16 jours si l’on fait une étape par jour). Impressionnés et influençables, on se dit qu’après tout on n’est pas encore sur les rotules, allons-y pour l’étape 2 dès maintenant !

14h26. Départ, et le début des problèmes !

Dans un élan de raison, nous nous disons que plutôt que de doubler, nous allons juste faire la moitié de l’étape et rechercher un lieu de bivouac à mi-étape. Cela dans le but de ne pas nous délester de 8€/personne pour planter notre propre tente à proximité d’un refuge, dans la montagne… Bien entendu, pour que le business soit viable, le bivouac hors refuge est interdit. Du coup il convient de trouver un endroit plat, discret et un peu éloigné du sentier. C’est là que tout se complique : le « sentier » qu’on nous avait promis parce que nous nous étions engagés sur une « randonnée » est en vérité une voie d’escalade faisant des montagnes russes sur 8 km…

GR20 Corse grande randonnée autonomie aventure Arthur Barrow Wild Spot
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Dès lors, nous comprenons que la notion de « plat » doit être vite oubliée dans ce qui ressemble davantage au Mordor qu’aux paysages verdoyants et idylliques qu’un étranger se figure de la Corse. Une fois cette donnée intégrée, nous progressons à petits pas, le rythme se fait plus lent. La joie de vivre laisse place à une petite forme d’angoisse à mesure que le soleil descend et que la fatigue monte. Nous nous perdons plusieurs fois, le balisage est très complexe à suivre parce qu’il ne suit pas un chemin logique et instinctif qu’on peut distinguer : il monte, descend, tourne, etc. à chaque pierre. C’est très demandant mentalement.

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Vers 18h, l’ambiance a vraiment changé : la confiance en soi laisse place à un désespoir complet. C’est le premier jour, on est déjà tellement au bout de nos forces que l’on commence à sentir la nausée monter. On peut raisonnablement affirmer que ces 2 200 m de dénivelé cumulé positif sont difficiles à encaisser. Très vite, on se rappelle qu’il s’agit « d’une des randos les plus dures d’Europe » dixit le chauffeur de taxi. Certes ! On se la ferme avec nos ambitions de faire deux étapes par jour. C’est dur, c’est tout. On va se faire tout petit face à la montagne.

Ce n’est qu’à 20h30, après avoir repoussé 76 fois le moment où nous devions nous arrêter bivouaquer, que nous trouvons une surface relativement plane pour planter la tente. Petit débrief de ce premier jour : c’est dur, putain. Il va falloir s’économiser parce qu’arriver à son lieu de bivouac en ayant envie de vomir tellement la fatigue se fait sentir, c’est pas folichon pour être honnête. Il faut passer au repas. Goûter le saucisson, trouver ça merveilleux, en prendre deux tranches. Se concentrer pour ne pas vomir et dormir, tout de suite.

On se rendra compte en montant la tente que nous n’étions plus qu’à 150-200 mètres du refuge de l’étape 2…

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JOUR 2 : Étapes 3 - Refuge de Carrozzu > Refuge d’Asco Stagnu

5,4 km | 827m D+ | 4h03 de marche

Après la claque de la veille, une petite grasse matinée s’impose : départ 8h45 de notre bivouac. Tout s’est bien passé, nous n’avons pas été chassés ou violentés pour avoir planté notre tente sur un caillou ! C’est reparti. Aujourd’hui, nous décidons que nous ne ferons qu’une seule étape pour des raisons évidentes de traumatisme de fatigue de la veille. On commence par la très agréable traversée d’une passerelle où des gens s’entassent pour faire la même photo Instagram, loin de la sueur et de l’intensité du parcours de la veille.

On enchaine avec une succession de plaques de pierre sans prise pour se tenir. Il faut comprendre qu’une glissade ici et tu finis au fond du ravin. La journée avance sans trop de difficulté jusqu’à la pause repas où nous dégustons un passable poulet curry lyophilisé.

Il faut savoir qu’historiquement, le GR20 traversait ce qu’on appelle le « Cirque de la Solitude », un endroit très technique à traverser, équipé de chaînes et autres accessoires pour aider à la progression. En 2015, 7 personnes y ont trouvé la mort à cause d’un glissement de terrain. Depuis, le GR a été détourné dudit Cirque et les équipements de sécurité ont été retirés. En 2018, l’accès au cirque a été de nouveau autorisé mais sans équipements, il s’agit maintenant plutôt d’une course d’alpinisme…

Moins fatigués que la veille et avides d’en baver à nouveau, on se met en tête de passer par le Cirque le lendemain. Arrivés au refuge de Carrozzu à 15 h, nous prenons une douche froide, plantons notre tente et commençons à nous renseigner auprès du tenancier sur les possibilités pour traverser le cirque : c’est 55 € le guide. On écarte cette option. On finit par regarder un bon nombre de vidéos de traversées, c’est extrêmement abrupte et profondément dangereux. Nous renonçons totalement.

Malgré que l’on se trouve nuls d’abandonner, nous assistons à un heureux retournement de situation : on croise les deux personnes qui nous avaient affirmé vouloir faire le GR en 7 jours dès le premier jour. Après avoir bien sympathisé avec eux, ils nous avouent qu’ils se sont également fait piéger par la deuxième étape et ont dû dormir avant le refuge. On se sent moins seuls, on ne doit pas être si nuls ! À nous d’expliquer que l’on fait le GR en autonomie, un peu fiers de nous, on voit briller l’admiration dans leurs yeux et la confiance revient. À ce stade, on se dit qu’on est capables de faire le GR20 en 12 jours plutôt que les 16 initialement prévus. Le défi nous excite.

Le soir venu, alors que l’eau bout dans la cuisine du refuge, on croise quelqu’un de fort sympathique, à l’allure sportive, qui nous questionne sur les conditions de notre périple : nombre de jours, poids du sac, autonomie ou non ? (On se rendra compte qu’il s’agit de la question incontournable pour engager la conversation avec qui que ce soit sur le GR). On reprend notre discours sur l’autonomie qui commence à être bien ficelé, et on le lui déclame fièrement. En lui retournant la question, il nous explique calmement qu’il parcourt le GR en 7 jours et est quasiment en autonomie : il ne prend que les repas du soir en refuge, sinon il a tout comme nous : repas du matin et du midi, sa tente et son sac de couchage. Le tout pour un sac de 8 kg. Pour tenir le rythme, il va jusqu’à manger ses repas lyophilisés froids à midi, en marchant. 0 pause, c’est sa religion.

Pour nous c’est la douche froide (encore une !). Ce mec est serein, humble et nous met une belle claque qui nous remet à notre place : il y a toujours beaucoup plus fort que soi.

On regagne notre tente comme des enfants impressionnés par un membre de la famille déguisé en Père Noël… Après un silence religieux pendant lequel nous réfléchissions chacun de notre côté, Enora et moi prenons une décision folle, boostés par le récit de celui qu’on nommera dorénavant Tommy Freedent (il avait les dents blanches comme la neige et une bonne tête de Tommy)…

Le lendemain nous attend l’étape la plus difficile de tout le GR20. On a entendu toute la soirée des bribes de conversations évoquant l’ascension de l’étape 4, difficile, usante, dangereuse, interminable, technique, avec l’envie d’abandonner. Ce sont ces termes qui nous reviennent sans cesse aux oreilles. Tous ces bruits de couloir font monter la pression et entretiennent l’appréhension pour Enora et moi. Pourtant, nous décidons de doubler cette étape et faire fi de toutes ces rumeurs. Frémissant d’impatience à l’idée de s’attaquer aux étapes 4 et 5 dans la même journée…

JOUR 3 : Étapes 4 + 5 - Asco > Ciuttulu

16,2 km | 2 014m D+ | 09h01 de marche

Réveil 5h, départ 6h13. On est comme sur un nouveau départ de marathon : une meute de 40 marcheurs montés à bloc se dirige vers la falaise minérale qui mène au Pic des Éboulis, prête à en découdre avec la caillasse. L’ambiance est pesante et sérieuse : les regards se croisent et se comprennent, tout le monde sait pertinemment qu’il va en chier des lames de rasoir pendant les  trois prochaines heures…

C’est le moment d’appliquer la méthode de Tommy Freedent : trouver son rythme et ne jamais s’arrêter, même pour les pauses fruits secs ou eau. L’hypoglycémie n’a qu’à bien se tenir ! Boire en marchant quand on est à bout de souffle se révèlera être plutôt complexe en fin de compte…

L’aurore est magnifique et nous donne une force insoupçonnée pour progresser comme des militaires en mission.

GR20 Corse grande randonnée autonomie aventure Arthur Barrow Wild Spot
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Après 2 heures en mode « machine de guerre », l’hypoglycémie frappe à ma porte et me somme de dévorer ces ignobles inventions que sont les raisins secs (c’est dégueulasse, c’est mon avis !). En équilibre au milieu d’un pierrier, je lance mon sac au sol, plonge ma main dans une poche et la ressort avec une petite poignée de fruits secs. Je les gobe et repars de plus belle, même si j’ai autant envie d’avancer que de m’arracher un bras pour faire du golf avec ! 40 secondes : c’est le temps de mon arrêt au stand de dopage sucre ! L’effet est instantané. Je reprends mes esprits et recommence sur un nouveau souffle. Je ne m’arrêterai pas jusqu’à la fin, excepté devant certains passages très engagés où une file d’attente de zombies haletants se forme : chacun attend son tour en observant les autres randonneurs-grimpeurs tenter de ne pas se tuer sur la roche. C’est très sympathique…

J’arrive au Pic des Éboulis après 2h55 d’ascension, exténué et y attends Énora.

Calée sur le rythme d’un randonneur que j’avais doublé, Énora vit une toute autre ascension. Elle n’a pas de montre et essaye de se fier au soleil pour savoir combien de temps il lui reste à endurer cette souffrance. Le problème est qu’elle pense que la montée se fait en 6h alors qu’il s’agit d’une étape de 3h de marche. En espérant voir arriver le soleil au zénith, ce qui signifierait midi et donc la fin des 6h, elle désespère de ne jamais voir ce moment arriver. C’est sans fin ! Moralement, c’est donc bien plus difficile. Ainsi, pensant qu’elle a encore de nombreuses heures à marcher, elle adopte un rythme de croisière qui lui sied parfaitement. Elle arrivera au Pic des Éboulis sans être exténuée, prête à repartir de plus belle !

Pendant que je l’attends, j’ai l’air d’un drôle de personnage : j’arrive au sommet alors qu’il n’y a quasiment personne, je suis seul, mais je reste planté là à attendre et à jeter des coups d’œil dans la vallée toutes les 5 minutes. En outre, le froid se fait franchement sentir dans ce col venteux. Ainsi, après moins de 30 minutes d’attente, j’enfile l’ensemble de mes couches sur moi. J’achève ma transformation en « ce-mec-bizarre-tout-seul-là-bas-sur-le-caillou ».

Après m’être posé 15 questions sur ce qu’il avait pu arriver à Énora et m’être fait les pires films à ce propos, elle arrive au sommet. Je lui annonce qu’elle a marché 3h45, ce qui la déçoit un peu, persuadée jusqu’alors d’avoir pu randonner non-stop pendant 6h…

Le sommet le plus haut de Corse, le Monte Cinto, est accessible depuis le Pic des Éboulis moyennant 45 minutes de marche. On passera notre tour, on a une étape à finir et une autre à doubler. Après 10 minutes de pause, il est 10h et on doit repartir.

2 heures de sale descente nous attendent avec 1000 mètres de dénivelé négatif. On passe un mauvais moment à faire de nos jambes de la soupe de genoux, le sentier est interminable et le balisage plutôt approximatif, les nombreux demi-tours nous achèvent un peu moralement. On arrivera au refuge à midi. Sur la route, Énora sympathise avec deux filles qui font également le GR en autonomie mais qui ont clairement des sacs moins optimisés : l’un fait 14 kg et l’autre 18. En plus, elles s’autorisent des écarts avec quelques denrées achetées en refuge. On n’est pas si mauvais finalement…

GR20 Corse grande randonnée autonomie aventure Arthur Barrow Wild Spot
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Mais évidemment, pour contre balancer ce regain de confiance en soi, on mange avec deux cinquantenaires qui font 3 étapes par jour en trail sur tout le GR. Un des deux est directeur de clinique et file quelques compresses à Énora qui a un petit bobo à soigner. On se dit que c’est pas con de le faire aussi léger qu’eux : ils dorment à l’hôtel tous les jours et ont même une équipe logistique qui s’occupe de leurs réservations et ravitaillement…

Juste avant de repartir après avoir dégusté un superbe pâtes-bolognaise lyophilisé face à la vue incroyable de la vallée, on croise deux personnes qui font le parcours dans l’autre sens. Nos sens sont maintenant affutés et en deux coups d’œil, on comprend vite qu’ils sont peu préparés. L’un des deux nous dit que ce qui nous attend est effroyable, qu’il a eu peur de mourir plusieurs fois et que le pire est devant nous. Rassurant le bonhomme !

En partant, Énora nie en bloc les affirmations de l’homme-ébranlé-par-le-GR20, parce que « le Sud, c’est plus simple » selon elle. C’est ce qui ressort de ses lectures de différents forums et témoignages à propos du GR20. Ce sera une phrase qu’elle martèlera au fur et à mesure de notre progression, pour se donner de la force, du courage, ou simplement pour nier la réalité : c’est difficile jusqu’au dernier foutu de mètre de sentier !…

GR20 Corse grande randonnée autonomie aventure Arthur Barrow Wild Spot
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Bref. C’est parti pour la deuxième étape de la journée. Une étape fourbe, peu de dénivelé mais mal réparti : une longue avancée sur le plat avant 730 m d’à pic à crapahuter dans les cailloux. Mentalement c’est difficile car plus on avance, plus on comprend que la montée va être raide à la fin. On est dans l’expectative et cruellement ralentis par la motivation largement moins présente que durant la matinée. C’est là que le mental doit vraiment commencer à intervenir, on n’est pas sur une étape vraiment compliquée mais la fatigue cogne au moins tout aussi fort que le soleil. Il faut puiser la force au fond de son cerveau, et non dans les muscles, pour convaincre son corps de continuer.

La fameuse montée arrive, j’estime à vue d’œil à 1h30 le temps d’en finir et d’arriver au col. Je vous passe les détails mais on s’en sortira en une heure. Nous croisons à l’arrivée les deux randonneurs qui avaient initialement l’intention de faire le GR en 7 jours. Ils nous expliquent qu’ils abandonnent et vont prendre un bus le lendemain.

16h10, arrivée au refuge de Ciuttulu, le plus haut du GR20, qui culmine à 2 000 m d’altitude. Une épaisse brume nous attend et baigne l’endroit dans une drôle d’ambiance sérieuse, froide et peu rassurante.

Pour renforcer l’impression de bout du monde, le tenancier du gîte est de ces personnes qu’on imagine uniquement dans des films sérieux en noir et blanc, taiseux et impressionnant : un gros bonhomme baraqué aux traits marqués par la vie. Il ne décroche qu’un mot suite à ma demande de deux bivouacs pour la nuit : « 16€». Ça sent la testostérone à plein nez, allons plutôt planter la tente…

Les douches sont encore chaudes il parait, faisons la queue. L’attente de la douche, c’est un peu le seul moment où l’on partage vraiment nos aventures avec d’autres randonneurs du GR20, étant donné qu’on ne mange pas le repas commun du soir dans les refuges. C’est très plaisant de pouvoir parler avec des gens qui viennent d’en baver exactement de la même façon que nous ! Ils ont fait les mêmes deux étapes et l’on s’étire tous dans une ambiance sympathique où les rires automatiques déclenchés par la fatigue partent tout seul. Le sourire aux lèvres, nous pouvons profiter de notre première douche chaude (brulante), un bonheur absolu. Il y a une étrange sensation de satisfaction ultime d’avoir accès à une source aussi intense de chaleur au milieu de cet épais brouillard de montagne.

On fonce se blottir dans la tente et y faire à manger. 19h30, la semoule, le saucisson et le fromage engloutis, on va se coucher, abattus par la journée.

JOUR 4 : Étape 6 - Ciuttulu > Manganu

25,1 km | 878 m D+ | 1 253m D- | 8h09 de marche

On a pris le rythme maintenant ! Lever 5h pour un départ 6h à la frontale. La première heure se partage entre marche à la frontale et nuances de roses célestes à mesure que le soleil se lève… C’est bien agréable, on voit aussi quelques familles de cochons noirs qui traversent notre chemin.

GR20 Corse grande randonnée autonomie aventure Arthur Barrow Wild Spot
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Après une descente longue et caillouteuse, le chemin devient plat. Le ressenti est étrange, nous ne sommes pas habitués, ça ressemblerait presque à ce qu’on appelle communément un « chemin de randonnée ». C’est mot pour mot ce que va nous dire un marcheur croisé quelques centaines de mètres plus loin : « vous allez voir, on dirait un vrai sentier tellement c’est plat ! ». C’est vrai que c’est ce que nous promet la topo : une étape longue mais plate, telle une petite balade forestière du dimanche…

On quitte enfin les caillasses habituelles pour retrouver un peu de forêt et de l’herbe aussi verte que sur le fameux fond d’écran Windows XP. Comme rien n’est jamais tout rose sur le GR20, le sentier devient assez vite usant de par sa monotonie de terrain : nos sacs à dos nous scient les épaules à cause de notre position très droite, due au dénivelé inexistant. C’est presque illogique de penser ainsi ! Notre bon vieux dénivelé positif sans pitié sur la roche acérée commence presque à nous manquer.

Quoi qu’il en soit, après 6h10 de marche, on fini par arriver sur les berges du lac de Ninu, offrant à nos yeux un paysage sans pareil : des petites flaques, appelées pozzines, ont creusé les berges et parsèment la plaine d’herbe idyllique. On en profite pour y entamer une petite pause repas.

Bien installés sur la berge du lac, nous dégustons un sympathique sauté de bœuf aux lentilles lyophilisé. Alors que nous sommes sur la fin du repas, un couple s’approche de nous. Ils ont un chien anorexique qui pratique la course de formule 1. Le chien nous file le tournis à force de nous courir autour, on se croirait dans Interstellar. Nous finissons par partir et ils s’assoient précisément sur le mètre carré d’herbe sur lequel on était. Surprenant. Nous échangeons un sourire sympathique de salutation, puis nous reprenons la route.

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En repartant, on va commencer à comprendre certaines choses qui vont nous faire perdre la vision que nous avions du GR20 et du mythe de l’incroyable « pèlerinage introspectif et valorisant »…

Sur mon GPS de randonnée, j’ai accès aux différents tracés du GR20 de l’histoire, parce que oui, il est régulièrement modifié. Mais pourquoi donc ? Pour éviter des sentiers dangereux et des glissements de terrain ? Pour préserver une réserve de faune en danger ? Que nenni… Pour faire passer les marcheurs par davantage de bergeries qui vendent fromages et charcuteries. Même si cela rajoute 40 minutes de marche. Oui, le GR20 est un business.

Évidemment, on déchante un peu. J’ai vraiment soif et mes réserves d’eau sont à sec. Le moral est bien au fond des chaussettes. Le paysage en rajoute une couche, alors que l’on traverse des terres brulées avec des souches carbonisées, dans un désert plat qui s’étend sur plusieurs kilomètres. Je deviens rapidement irritable, j’ai horriblement soif.

Après 1h30 de marche, nous trouvons enfin une source d’eau dans une bergerie. On passe devant les tenanciers et leurs potes, ils nous toisent comme si nous étions dans un film de Sergio Leone. Sans déconner, ils pivotent sur leurs talons pour ne pas nous lâcher du regard à mesure que l’on avance sur leur droite. Arrivés à la source, on en est presque à penser qu’on va nous engueuler de boire. C’est ça l’ambiance Far-West ici ! Mais au final ce n’est que du feu : on prend tranquillement de quoi se désaltérer et on repart.

Il n’est même pas 15h, on peut peut-être doubler l’étape ? On a été piqué par le syndrome de toujours en faire plus depuis qu’on a croisé Tommy Freedent. On presse le pas pour arriver au refuge du jour, Manganu. 30 minutes plus tard, arrivés au refuge, le courage de se lancer dans une nouvelle étape n’est pas au rendez-vous, un peu saoulés par les 25 km de plat que l’on vient d’avaler.

Une arrivée à 15h15 et une douche chaude nous permettent de nous remettre un peu de bonne humeur après l’abandon du doublage d’étape. Bloqué par l’absence de réseau à cet endroit, l’échelle la plus zoomée de la carte IGN (que je consulte sur mon téléphone) est alors inaccessible pour pouvoir décider de ce que l’on fait le lendemain en réelle connaissance de cause. Finalement, aussi compétitifs l’un que l’autre, on se monte mutuellement le choux pour finir par se mettre d’accord : demain on triple ! On programme les 3 dernières étapes de la partie nord, comme ça on compensera l’étape d’aujourd’hui. Comme ça on sera fiers de nous. Comme ça on sera des héros. Comme ça on sera des machines… ou comme ça on sera juste des abrutis !

JOUR 5 : Étape 7 + 8 + 9 - Manganu > Vizzavona

26,6 km | 2 048 m D+ | 2 712m D- | 12h05 de marche

Lever 5h, c’est le jour où on sait qu’on va le plus en baver ! En plus de tripler aujourd’hui, on s’est dit qu’on allait finir le GR20 en 9 jours. Si on réussit la triplette aujourd’hui, nous prendrons de nouveaux billets d’avion ce soir et verrouillons une date de retour obligatoire…

On sait pertinemment qu’on est complètement fêlés mais nous nous persuadons de notre réussite ! Il est 6h, c’est parti pour le départ à la frontale. Je trace assez vite Énora et au bout de 40 minutes, je double un couple dans la première montée de la journée : un pierrier coupe-jarret qui donne le ton pour la suite. Dès que j’arrive au niveau de la fille, elle se retourne et me demande, sorti de nulle-part « toi aussi tu triples ? ». Un peu étonné par la pertinence de sa question, je réponds par l’affirmative et continue devant eux. À ce moment-là, elle ne le sait pas, mais elle vient de déclencher quelque chose de très dangereux dans ma petite tête : elle a validé la connerie qu’on s’est persuadé de faire. Si quelqu’un d’autre est assez fou pour faire la même chose, c’est que c’est possible. Donc hop, on active le mode machine de guerre et on enquille !

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La vue une fois arrivé au col est magnifique : un lever de soleil incroyable s’offre à moi et me donne la foi. Après cela, la descente commence ! On a découvert une nouvelle technique d’appui sur les bâtons et on s’en sert comme de véritables béquilles. On se précipite dans les pentes avec toute la confiance du monde. Nous talonnons des joggeurs, ça nous confère une pêche incroyable ! Comment pouvons-nous, petites crevettes que nous sommes avec nos sacs de 12 kg, rattraper des coureurs de trail ?

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On boucle la première étape à 10 heures. Un rapide petit coup de sucre avec un muesli aux fruits accompagné d’un peu d’eau et ça repart ! Pour cette deuxième étape, deux choix s’offrent à nous : un détour facile et long par la vallée ou bien la variante qui passe par un chemin de crête très vertigineux. Plus court, plus joli et plus dur. La décision est toute prise : on fonce.

GR20 Corse grande randonnée autonomie aventure Arthur Barrow Wild Spot

Nous ne sommes pas déçus. Tout est vrai : c’est l’enfer pour le cardio, ça monte et ça descend dans tous les sens, c’est vraiment de l’escalade ; il ne reste même pas 1% de rando là-dedans. On dirait presque une arnaque de bouffe industrielle lorsque tu achètes une « préparation fromagère » et que tu as juste des sels de fonte et de la graisse végétale ! Bref. C’est dur et ce n’est pas de la rando, mais qu’est-ce que c’est beau ! On profite d’une vue à 360 degrés, accompagnés d’un grand beau temps qui nous permet de voir la mer des deux côtés de la Corse. On prend une grande inspiration pour savourer la chance que nous avons d’être témoins de paysages aussi magnifiques.

Honnêtement et très crûment, Enora en chie. Le soleil qui frappe, la charge sur le dos, le niveau quasi-alpinisme, la pression du timing car il faut tripler… C’est vraiment dur, mais on s’accroche. Ne perdant pas l’objectif de vue, on s’accorde tout de même quelques pauses. On se fait rattraper par nos deux comparses qui triplent également. Ils ont maintenant des noms : Maëlle et Yohann . Après 2 heures de crapahute, nous finissons cette deuxième étape de la journée par une descente de l’enfer sur 600 mètres. On double à nouveau les deux autres : Maëlle y va lentement car elle a une grosse faiblesse au genou gauche. On aurait dû faire comme elle en arrivant au refuge d’Onda. À cet instant, une seule envie persiste en nous : se racheter une bonne paire de genoux neufs.

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Arrivés au refuge, tout nous indique qu’il serait plus sage de nous arrêter là pour aujourd’hui :

  • l’endroit est un enclos très charmant avec une source à proximité ;
  • de très gros nuages qui menacent d’éclater en orages s’entassent dans la montée que l’on doit emprunter après le repas ;
  • il faut rebrousser chemin sur 10 minutes de marche pour rejoindre le sentier de la 3e étape…

Le sujet de l’abandon est tabou entre Énora et moi. Quand bien même nous nous étions dit qu’on aviserait lors de cette pause si l’on continuerait ou non, le sujet n’est pas évoqué. Comme si la question ne se posait pas, aucun de nous deux ne veut être la personne qui montre un signe de faiblesse en abordant le sujet. Je me rends compte de l’ampleur de notre connerie en écrivant ça…

On ne mange pas de repas à proprement parler, celui-ci nous rendrait trop lourds. On se contente d’un autre muesli aux fruits pour avoir le coup de fouet du sucre. Je vous avoue qu’à 13h30 après 7 heures de marche, c’est dur de se passer de salé. On finit notre besogne et reprenons la route toujours sans aborder le « est-ce qu’on s’arrêterait pas là pour la nuit quand même ? » Jusqu’à ce qu’on croise deux personnes descendants de la montagne qu’on s’apprête à gravir. N’ayant pas de réseau, je leur pose quelques questions sur les prévisions météo. Ils nous assurent que les nuages vont se dissiper et qu’on a aucun risque de nous retrouver dans un orage potentiellement mortel une fois là-haut. Pour nous, c’est le moment d’aborder le fameux sujet : on y va ? « Bah oui, y’a pas de risque ». On ne parle pas de fatigue et on fonce, tête baissée.

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Nous sommes désormais sur l’étape 3. Il nous reste 760 mètres de montée jusqu’à la Pointe Muratello. La motivation se trouve ailleurs qu’habituellement : on progresse assez lentement pour pouvoir parler, se raconter des anecdotes sportives de notre enfance. Je raconte mes déboires avec les stages de catamaran, trimballé en camping-car par mon grand-père. Sans qu’on s’en rende compte, le temps passe et on arrive vite à l’orée des nuages avant de s’y enfoncer pour finir l’ascension.

Lors de cette ascension finale, je raconte à Énora les comportements à adopter en cas d’orage, pour ne pas mourir foudroyés. Ou du moins pour réduire nos chances de l’être… La méthode de la tchatche pour ne pas penser à l’effort s’avère efficace, nous atteignons le Muratello à 15h30, qui signe la fin du dénivelé positif pour cette journée exténuante. On se félicite par une poignée de main vive et fraternelle. Clou du spectacle, la vue se dégage partiellement à notre arrivée pour nous dévoiler un relief exceptionnel, accentué par la perspective des nuages.

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On se lance dans la descente, soulagés et plein d’énergie : c’est la dernière ligne droite jusqu’à Vizzavona. Une descente de 1 200 mètres de dénivelé sur presque 10 km nous attend.

À ce moment-là, on ne le sait pas encore mais je viens de commettre une grosse erreur : j’ai laissé la poche de mon GPS ouverte et évidemment, il est tombé… La gaieté et la motivation vont rapidement s’estomper car la descente nous broie très vite les genoux. Au bout de 30 minutes, Énora me demande combien de bornes il nous reste à parcourir. Et là, c’est le drame : comment faire sans GPS ? Faut-il le laisser derrière sans savoir où il est tombé ? Abandonner ce cadeau que ma douce m’a offert et faire une croix sur toutes nos statistiques pour le GR ? Non… c’est impossible. Ni une, ni deux, je rebrousse chemin et vais chercher ce petit machin gris au milieu de la montagne toute grise. Évidemment, je me remets en cause au fur et à mesure que mes espoirs s’amoindrissent alors que je cherche une aiguille dans une botte de foin. « C’était un cadeau Arthur ! Tu l’as perdu, t’es nul ! Tu foires tout. » etc… Sortis soudainement de nulle part, nos deux amis Maëlle et Yohann arrivent en me demandant si je n’étais pas à la recherche d’une balise GPS… Abasourdi par cette question si à-propos, j’acquiesce et Maëlle me tend mon GPS. Par miracle, elle s’était assise tout juste là où je l’avais fait tomber, en regardant la vue. Quelle aubaine !

Je dévale le chemin que j’avais remonté pour retrouver Énora, ravie que j’aie retrouvé le GPS. On attaque la suite de cette troisième étape avec le moral chargé à bloc, on va vite déchanter face à la monotonie du dénivelé du chemin. Ça descend, encore et encore. Au détour d’un regard blasé sur ma gauche, j’aperçois une magnifique piscine naturelle, creusée dans la roche où un homme nu s’apprête justement à y plonger… Cette eau pure et transparente nous donne un peu de baume au cœur. Mais il faut continuer, il nous reste encore 4 km jusqu’à Vizzavona.

Le moral est vraiment au plus bas lors des deux derniers kilomètres, j’en arrive même à annoncer la distance qui nous sépare de l’arrivée, tous les 50 mètres… Mais soudain, on voit à nouveau nos deux comparses de la journée quelques mètres derrière nous. Pour Énora, c’est un électrochoc ! Il est hors de question qu’ils finissent avant nous alors qu’on a été devant toute la journée. L’esprit de compétition est plus fort que la fatigue, on se met à accélérer.

Une fois la course gagnée, enfin… une fois arrivés ; on pause nos affaires, la pression descend et la fatigue se fait ressentir instantanément ; nous sommes de vraies serpillères. On va pourtant veiller un peu ce soir-là, le temps d’échanger avec un randonneur fort sympathique, mais très remonté contre les Corses et le système économique du GR20. Il se montre cependant généreux et nous donne un œuf : très agréable après 4 jours de semoule le soir !

Un dernier impératif nous sépare du saint-sommeil réparateur : les billets d’avion. En effet, comme nous avons fièrement réussi à tripler, nous pouvons prendre nos billets pour revenir plus tôt que prévu et faire une surprise à nos amoureux respectifs restés au pays… Ça veut aussi dire qu’on n’a plus le droit de faiblir. À partir de maintenant, il faudra doubler toutes les étapes, sauf une, si l’on veut pouvoir finir en 9 jours.

JOUR 6 : Étape 10 + moitié 11 - Vizzavona > Pietro di Verde

28 km | 1 473 m D+ | 1 093 m D- | 8h35 de marche

Réveil à 6h, quelle sympathique grasse matinée !… Le départ à 7h va être très très dur. Pour la première fois, je commence à sentir de vraies lourdeurs dans les jambes, les toxines de la veille n’ont pas du tout eu le temps de s’évacuer, il me faudrait des bas de contention. Jetant un coup d’œil au GPS, ce dernier nous annonce un trajet de 31,8 km pour la journée étant donné qu’on double aujourd’hui… L’annonce fait mal et jette un froid sur Énora et moi. Nous avons besoin de repos et envie de facilité après ce qu’on a traversé la veille, mais visiblement ce n’est pas au programme pour l’instant.

C’est là qu’arrive le vrai challenge mental, notre condition physique seule ne suffit plus pour avancer, il faut réussir à se motiver alors qu’on n’a aucunement le schéma escompté d’effort-récompense ; mais une journée tout aussi difficile que celle de la veille. À cela, il faut ajouter la progression en lacets dans la forêt, très redondants, tout ce qu’Énora déteste. Rien ne va, les douleurs aux épaules sont plus intenses que jamais. Dès que l’on s’arrête pour se reposer, une foule de randonneurs arrive et se colle à nous ; on n’est pas préparés à la difficulté d’un lendemain de triplette d’étape.

Heureusement pour nous, le paysage évolue rapidement pour laisser place à un horizon radieux et dégagé. Chacun de son côté, nous faisons une sorte d’introspection pour trouver les ressources mentales nécessaires pour avancer. Le plus difficile étant l’obligation de doubler toutes les étapes pour ne pas rater notre avion fraichement réservé…

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Après 4h30 de marche, nous atteignons le refuge de Capanelle, ce qui sonne l’heure de marquer une pause. Pas un sourire de satisfaction, mais le silence pendant les étirements. Un sentiment de peur de l’échec commence à poindre pour ma part. Mes jambes sont extrêmement lourdes, comme si j’avais un sérieux problème de circulation sanguine alors que ce ne sont que des toxines libérées lors de l’effort. Le seul moyen de les faire disparaitre est le repos accompagné de massage.

On s’accorde tous les deux pour faire une longue coupure déjeuner de 2 heures. On peut manger davantage que les jours précédents et profiter du fait que nous avons trop de nourriture étant donné que l’objectif du périple est passé de 15 à 9 jours. Là c’est le grand festin : semoule et saucisson en plus du hachis parmentier lyophilisé, IN-CRO-YABLE. Énora ayant épuisé toute sa réserve de sucre (fruits secs et barres), en profite pour aller acheter un tube de crème de marron. De mon côté, je me rationne et essaye de ne pas craquer pour aller acheter des vivres. Surement par égo, je veux réussir à garder mon engagement initial : autonomie totale = pas de rachat de vivres.

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Petite étude du tracé avant de repartir : une montée de 1000 mètres nous attend encore. La « douille » dira-t-on. Le rythme au départ se fait timide, on sait que le GR nous réserve sa « douille » pour la fin de journée, donc en gros 3h de plat pour encaisser tout le dénivelé dans la dernière heure de marche. L’appréhension monte alors qu’on progresse. Tandis qu’il ne reste plus qu’un kilomètre à parcourir, on est surpris par l’absence de montée bien sale. Ça ressemble à une blague, on parcourt cette dernière borne très méfiants, jusqu’à tomber sur le refuge. Une super bonne surprise, on n’a pas eu à gravir la fameuse douille de fin de journée. Surement une erreur du GPS. Joie et repos nous attendent !

Seul hic, le refuge est encore plus cher que les refuges précédents car il n’est pas géré par l’Office National des Forêts mais est privé… Étrange. Ça aurait dû me mettre la puce à l’oreille : le soir, en regardant la carte bien au chaud dans la tente, je me rends compte qu’on n’est tout bonnement pas dans le refuge que nous visions ! On a donc seulement fait une étape et demi, la « douille » nous attend pour le lendemain matin…

JOUR 7 : Moitié 11 + étapes 12 + 13 - Pietro di Verde > Ruisseau de Cavallare

25,4 km | 1 813 m D+ | 1 634 m D- | 9h38 de marche

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C’est parti pour la fameuse douille, avec 700 mètres de montée pour se mettre en jambe. On ne regrette vraiment pas notre erreur, l’ascension se fait plein Est, face au soleil qui se lève jusqu’à ce qu’on arrive en haut et qu’on le découvre trônant majestueusement au milieu de la mer. Un régal pour les yeux (mais pas pour mon téléphone, qui nous pond une photo des plus laides). On arrive rapidement au refuge de Prati, celui qu’on visait la veille. On retrouve notre anglais traileur qui se lève. Petit sentiment de fierté d’avoir pu suivre son rythme, lui qui avait l’air si déterminé à doubler toutes les étapes quand on l’avait croisé la première fois, le premier jour.

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Petit coup de fruits secs et l’on se remet en route avec une montée très coriace dans la forêt. Une fois terminée, on commence franchement à voir que l’on approche le Sud de l’île, notre aventure touche presque à sa fin. Alors que j’attends Énora, perché sur un caillou, je rattrape un mec assez âgé avec une casquette drapeau breton. « Oh un breton, ça ne peut qu’être un mec sympa ! » Raté. Il est plutôt vaniteux et la conversation ne va que dans un sens. Enfin bon, c’est toujours mieux que de parler tout seul. Il me parle d’une étape qui a été rajoutée en 2011 et qui fait faire un sacré détour. Une journée de plus en somme. Une fois de plus, on comprend l’argument commercial de vouloir faire rester plus longtemps les randonneurs sur le GR pour les faire dépenser un poil plus d’argent… Cette fois cela nous agace un peu donc, lors du déjeuner, Énora et moi décidons de prendre l’ancien tracé quitte à devoir dormir au milieu de celui-ci, loin de tout refuge. Le breton me propose une de ses barres de céréales fait-maison, que j’accepte par politesse. En réalité ça va juste être un supplice pour moi, parce que si je la mange, cela signifie l’échec de l’autonomie totale. Je la mangerai à l’arrivée. Une telle odeur de sucre et de chocolat juste à portée de main pendant encore un jour et demi… Difficile de résister.

En partant du refuge d’Usciolu, avant de devancer le breton, on lui demande de faire ce qui sera l’unique photo d’Enora et moi sur le GR.

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On prend donc la route de la variante, un panneau nous indique 8 heures de marche jusqu’au refuge d’après. On dormira clairement hors refuge, cela ne fait plus aucun doute. Ainsi détendus et sans pression du temps, après avoir descendu la montagne rocailleuse, nous arrivons dans une grande pleine extrêmement verdoyante. C’est La Comté du Seigneur des Anneaux ! On ne regrette pas notre choix. La progression se fait tranquillement pendant 1h30, c’est un vrai plaisir qui mêle repos physique et appréciation visuelle. En recherche de bivouac, nous finissons par jeter notre dévolu sur un petit pan d’herbe douce en retrait. Un vrai petit coin de paradis : au bord d’une rivière, nous pouvons nous étirer, baignés dans la lumière rougeoyante du soleil de fin d’après-midi, confortablement installés sur un épais tapis vert moelleux.

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On se réserve un petit festin pour le diner ! Il ne nous reste plus que deux jours. Il est difficile de se rendre compte, quand on lit ça confortablement installé dans son canapé, à quel point c’est rédempteur d’avoir le droit de prendre 3 douzièmes du fromage au lieu d’un seul. Mais croyez-moi, c’est le feu ! Au fil de notre discussion, emmitouflés dans nos duvets respectifs à l’heure tardive de 20h, on se surprend à imaginer tripler le lendemain… « Oh mais tu te rends compte, on l’aurait fait en 8 jours, imagine un peu ! »

On s’endort sur ces sages (ou pas) paroles.

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JOUR 8 : Étapes 14 et 15 - Ruisseau de Cavallare > i Paliri

20,70 km | 1 531m D+ | 1 917m D- | 9h05 de marche

Réveil humide. Que dis-je ? On se réveille plutôt comme sur un radeau au milieu de l’océan ! L’herbe est une vraie éponge qui s’est gorgée d’eau pendant la nuit. Un beau revers de médaille de ce décor idyllique. Après les traditionnelles 40 premières minutes à la frontale, le soleil commence à poindre et nous régale de son plus beau lever de tout le GR, des couleurs que je n’avais jamais vues, une sorte de dégradé inversé, avec le bleu en bas. Aussi beau que perturbant. Bien entendu, la colorimétrie de mon téléphone ne fait pas honneur à ce que la nature nous a offert ce jour-là, mais vous laisse imaginer un peu le spectacle.

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Nous continuons l’ascension, encore une fois face au soleil. Jusqu’à atteindre le Monte Incudine à 2 104 mètres d’altitude. On prend des photos, accompagnés de quelques chèvres en contemplant la pointe Sud de l’île de Beauté ; on peut même apercevoir la Sardaigne maintenant ! Définitivement, ça sent la fin. D’ailleurs, il est 8h20 en haut du Monte Incudine, on est larges pour boucler le GR aujourd’hui non ? On est gonflés à bloc. Nous saluons humblement la ribambelle de ruminants qui nous regardent et reprenons la route.

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On voit le refuge de là où on est, mais l’à-pic est rude, on s’en sortira en 50 minutes de marche au final, largement plus qu’escompté. En arrivant au refuge pour faire le plein d’eau, un hélicoptère de secours décolle 50 mètres plus loin, pas très rassurant… Pour la première fois depuis trois jours, il y a tout juste un peu de réseau ; hop quelques nouvelles à nos proches pour signaler qu’on est toujours en vie et c’est reparti. Au pas de course, on commence vraiment à y croire à cette histoire de tripler, alors la pression grandit un peu, « pas l’temps d’niaiser ! ».

Cette journée est assez étrange, remplie de sentiments paradoxaux, on sait que c’est la fin donc on a envie de regarder encore un peu ce paysage qui va nous manquer mais en même temps on sature vraiment des cailloux. On se met à délirer un peu en insultant la pierre, en rêvant de sol mou, on frôle l’overdose mentale. Pas le temps pour ces galéjades, pour pouvoir rentrer 3 étapes dans cette ultime journée, il faut foncer. Je prends quelques photos à la volée avant de partir en courant, j’ai l’impression d’être un touriste qui visite toute la France en 3 jours et qui se contentera de regarder ses photos une fois rentré chez lui. Je ne suis pas un adepte du concept, je crois.

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On traverse un chemin de crête vraiment très exigeant qui est censé être un raccourci. En outre, c’est bondé de monde, des « civils » comme on aime les appeler. Des gens qui viennent faire deux heures de balade le dimanche (oui, nous sommes dimanche). Le plus perturbant c’est l’odeur de propre qui émane de ces gens, des effluves de shampooing et de parfum viennent nous chatouiller les narines. On reconnait directement les « civils » au nez. On n’a plus l’habitude de sentir ça, on a presque envie d’aller prendre une bouffée de pull ou de t-shirt pour pouvoir respirer cette délicate odeur de lessive..

Assez divagué, revenons-en à la marche. La présence de tous ces gens dans des passages engagés rend la progression assez dangereuse, il y a beaucoup de chutes de pierres et peu de place pour les éviter. Une fois sorti de cette variante escarpée, on prend conscience que l’on n’arrivera pas à la fin de la deuxième étape avant 15h, c’est deux bonnes heures plus tard que notre programme. Surtout qu’il reste une sacrée montée jusqu’à i Paliri et que nous n’avons toujours pas mangé. Là, on ne s’amuse plus du tout, on est usés jusqu’à l’os, en retard sur nos estimations. Encore une fois, nous ne remettons pas en cause le fait de tripler, on progresse dans le déni total de notre épuisement.

25 minutes avant d’arriver au refuge d’i Paliri, perchés en haut de la dernière montée de l’étape, nous contemplons la vue de la jungle luxuriante qui s’étend devant nous. On aborde enfin le sujet de l’abandon de la 3e étape. La discussion est très intéressante, on prend conscience que c’est une chance incroyable que de pouvoir évoluer dans des décors aussi beaux et variés. Même si on en a plein les pattes, on veut profiter jusqu’au bout et ne pas juste arriver au terminus du GR en ayant la fierté de l’avoir fait en 8 jours mais en les ayant gâché en ne regardant que nos pieds sans profiter de la nature environnante. La prise de conscience que notre compétitivité nous pousse surement un peu trop a été synonyme de relâchement soudain : gardons la dernière étape pour demain matin, on profitera du lever de soleil et on finira le GR par un bon restaurant à midi. Ça fait quand même davantage rêver que de finir de nuit, comme deux loques, sans savoir où dormir à l’arrivée…

Nous prenons alors notre temps sur les deux derniers kilomètres qui nous séparent du refuge. Arrivée 15h20. Dans notre frénésie gr20tiste, on n’a même pas pris le temps de faire une pause repas. Il est temps maintenant. Proftage de vue. Mangeage. Congratulages mutuels sur la réussite du GR. Une pointe de nostalgie commence d’ailleurs à se faire sentir. Finissage de fromage et saucisson, c’est un grand moment.

Douche froide, très froide. Dans la queue pour la douche, plusieurs randonneurs qui font le GR dans le sens Sud-Nord nous questionnent sur tout ce que l’on a traversé. On prend plaisir à décrire en détails les différentes étapes, les conseiller sur certains trucs et astuces qu’on « aurait aimé connaitre avant de se lancer ». C’est vraiment une phrase de réalisateur de film, imbu de lui-même, qui sort un bouquin ou qui lance une formation en ligne. Bref, un bon moment.

Dernière soirée, dernier coucher de soleil. L’attraction du soir par les tenanciers du refuge : faire un tas de restes alimentaires sur un caillou et attendre que des sangliers viennent les manger. Promesse tenue : on voit ces gros cochons sauvages arriver et dévorer en deux coups de langue une grosse plâtrée de pâtes.

20h, appréciation silencieuse du coucher de soleil. On repense à tout ce qu’on a traversé pour pouvoir finir ici et déguster ce moment. C’est sympa, très sympa.

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JOUR 9 : Étapes 16 - i Paliri > Conca

13,3 km | 416 m D+ | 1 203 m D- | 4h00 de marche

6h04, dernier départ. Arrêt au bout d’une heure pour contempler le lever de soleil au dessus de la mer. Beau moment ressourçant, cette fois on profite au maximum, on ne regarde pas nos pieds, on n’est pas dans la performance mais plutôt dans la contemplation.

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Après 45 bonnes minutes de satisfaction visuelle, on reprend la route. Rapidement, je distance Énora, c’est le moment où l’on fait chacun notre récapitulatif introspectif de la semaine. Un peu de solitude ne fait pas de mal. On croise beaucoup de gens dans l’autre sens, pour eux c’est le début de l’aventure. Ils ne savent vraiment pas dans quoi ils s’embarquent, ces malheureux. Le chemin descend dans des sortes de tranchées creusées entre les racines d’arbres, c’est très surprenant mais sans grand difficulté technique.

2 heures de marche plus tard, je fais une pause pour attendre Énora qui n’est pas très loin derrière. Surprenamment, au bout de 10 minutes, toujours personne. 20 minutes, Énora arrive enfin. Inquiet, je lui demande si tout va bien. Et non, tout ne va pas bien, elle raconte : dans la descente caillouteuse, elle a planté son bâton de marche droit dans son lacet, croche-patte inarrêtable, elle tombe la tête la première et c’est sa gorge qui vient amortir le choc en se prenant de plein fouet une pierre affûtée. Respiration coupée, son premier réflexe est de porter ses mains à la gorge, persuadée qu’un trou béant s’y est formé. Miracle, elle n’a rien. Impossible pourtant, le choc était si violent. Elle met quelques minutes à se remettre de ses émotions et remercie fort la vie d’être une miraculée qui sort d’une telle chute indemne. Quand elle me raconte, j’ai du mal à comprendre comment elle peut s’en être aussi bien tirée : juste une sensation de gêne en déglutissant, qui disparaitra 2 jours plus tard.

On reste groupés pour la fin du périple, pas question de laisser des choses pareilles arriver, si proche de la fin d’autant plus. Les 3 derniers kilomètres se déroulent sans encombre, les premières habitations pointent le bout de leur nez, c’est le retour de la civilisation, on finit par arriver sur une route bétonnée. Étrange sensation que de ne pas être en adéquation avec le décor, l’impression d’être un pouilleux sur la Côte d’Azur au milieu des palmiers et des villas. 1 kilomètre plus tard c’est l’arrivée officielle à Conca au fameux bar du GR20, le Soleil Levant. Hop, fini !

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On fait la photo devant le panneau d’arrivée avec sa belle faute d’aurtograffe. A peine assis au café, je dévore la barre de céréale gentiment offerte par notre ami Breton. On signe le livre d’or du bar, et là commencent les discussions avec les autres qui viennent de finir. C’est un réel plaisir de raconter une rando en sachant que la personne en face nous comprend totalement, comme elle a traversé exactement la même chose que nous.

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Après ça c’est la belle vie : restaurant à midi, la joie de manger à table, d’être servis, nous redécouvrons la civilisation et y prenons rapidement goût. Il nous reste cependant une dernière absurdité nocturne à traverser avant de pouvoir rejoindre nos foyers respectifs. Notre avion décolle le lendemain à 8h du matin. En arrivant dans la ville (ou plutôt le village) de l’aéroport, nous découvrons une minuscule agglomération avec 3 chambres d’hôtes évidemment complètes et pas l’ombre d’un hôtel ni d’un camping municipal. Très bien, allons directement à l’aéroport, on dormira dans l’hôtel F1 ou équivalent directement là-bas.

L’aéroport ressemble à un petit hall de gare ferroviaire. On croirait une blague. C’est sûrement l’aérodrome du coin pour la sympathique amicale des petits coucous du dimanche, pas un aéroport international…! Nous sommes donc complètement à la rue et, trêve de suspens, nous finirons par dormir sur la toile de tente posée dans l’herbe à 100 mètres du tarmac, entre la tour de contrôle et une sorte d’énorme radar tournoyant. Absurde je vous dis. Après ça, le retour s’est fait sans encombre.

Après-propos

Que penser de ces 8 jours et demi de randonnée ? Globalement c’est beaucoup de bonheur, amplifié par la difficulté extrême de certains passages. En relisant mon récit, je me rends compte que j’ai davantage insisté sur les passages où nous en avons bavé que ceux où tout allait bien. Et je pense que c’est là la clé pour comprendre ce que nous avons apprécié dans le GR20 : en chier pour ensuite être fier d’y être arrivé selon les objectifs que nous nous étions fixés. C’en devient une drogue cette façon de toujours vouloir aller plus vite et faire plus dur. Mais la satisfaction qui s’en dégage est indescriptible.

Comme toute drogue, cela procure des sensations incroyable mais il y a toujours un revers de médaille. Il ne faut pas finir en se sentant ridicule d’avoir juste performé sans avoir profité une seule fois du décor. Après tout ce ne sont que des chiffres sur un GPS ou un chronomètre. Je dirais que si nous devions changer quelque chose dans notre manière d’aborder le GR20, ce serait de penser un peu plus souvent au paysage qu’à la performance. Pour une première découverte du GR, je ne recommande pas de le faire en 8 jours, mais plutôt en 10 jours. Vous aurez un meilleur équilibre entre performance et appréciation de la nature.

En conclusion, ce fût une aventure formidable, qui permet de se retrouver seul avec soi-même dans des situations assez extrêmes sans pour autant être foncièrement dangereuses. On en sort avec des idées nouvelles dans la tête je dirais. Voilà pour le mot de la fin. Merci d’avoir lu jusqu’ici.

Crédit photos : Arthur Barrow

À propos de l'auteur

Arthur Barrow

Directeur de la photographie ou électricien de cinéma sur les plateaux de tournage, j'apprécie échapper au rythme effréné citadin pour retrouver le calme de la nature. L’ultra-responsabilisation nécessaire pour évoluer en milieu montagnard est ce qui me fait vibrer et me pousse à passer toujours plus de temps à explorer les différents massifs.

5 réponses

  1. Bonsoir ! Et merci pour ce récit vivant, riche, palpitant et qui retient l’attention tout au long de la lecture. C’est une belle performance ce que vous avez fait là (même si je ne sais pas de quoi je parle 😉 ). bravo à vous deux et gros bisous.

  2. Bravo ! J’en ai mal au genoux ! J’ai un peu souffert aussi du si peu de friandises (genre saucisson..) nécessaires à tout bon casse-croûte ! Beau résumé de beaucoup de sensations et de souffrances tout au long de cette traversée. On attend le prochain défi !!!

  3. Superbe récit, plein d’humour et de recul sur les envies de fanfaronner, mais dramatique aussi lors de la chute d’Énora. Un beau mélange de folie et de lucidité. J’aime bien la conclusion sur le goût de la performance qui ne doit pas l’emporter sur le plaisir de traverser des paysages magnifiques, qui alternent la désolation du minéral, la luxuriance des forêts et la paix rosée de l’aube… En fait cette « randonnée » magnifique donne envie de marcher tout simplement dans la montagne, sans qu’il soit question de pareils exploits…

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